Expert en couverture soins de santé et défenseur du droit à la santé, Patrick Ndjadi est l’administrateur du Centre de recherche sur l’assurance maladie universelle (Cramu), actif à Kinshasa et à Bruxelles.
Le Courrier de Kinshasa : En quoi consistent les activités du Cramu?
Patrick Ndjadi : Cramu a deux missions : une scientifique et l’autre sociale. Dans sa casquette scientifique, Cramu apporte son expertise mutualiste dans la gestion, la prise en charge de malades et le fonctionnement des mutualités en RDC. Au travers ses articles, ses tribunes et les conférences académiques sur la question, elle participe à la réflexion scientifique sur la mise en œuvre d’une couverture sanitaire universelle (CSU) en République démocratique du Congo (RDC). Dans sa casquette sociale, Cramu est au côté de la population non seulement pour la vulgarisation des informations sur la couverture sanitaire universelle mais aussi pour rappeler à chacun sa responsabilité sur le droit à la santé
LCK : Que doit-on comprendre par CSU ?
PN : La CSU consiste à fournir à toutes les personnes un accès aux services de santé de qualité suffisante dont elles ont besoin, notamment la prévention, la promotion, le traitement, la rééducation et les palliatifs. Et de s’assurer que l’utilisation de ces services n’expose pas les bénéficiaires à des difficultés financières
LCK : Quelle est l’importance d’une CSU pour un pays comme la RDC ?
La RDC est un des pays les plus pauvres, malgré ses ressources naturelles et minières. Le développement de l’humain congolais doit être au centre de tout projet du développement de ce pays . La CSU en matière de santé aura un impact direct sur la santé de la population. L’accès aux services de santé permettra aux gens d’être plus productifs et de contribuer plus activement à la vie familiale et communautaire. Il permettra également aux enfants d’aller à l’école et d’apprendre. En même temps, la protection contre le risque financier évitera d’acculer les gens à la pauvreté s’ils devraient payer les services de leur poche. La CSU est clairement une composante essentielle du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. Elle est également un élément clé de tout effort de réduction des inégalités sociales.
LCK : Une loi adoptée par l’Assemblée nationale le 8 février 2017 ne rend obligatoire l’assurance maladie que pour les catégories de personnes dont « on sait retenir des cotisations à la source ». Etant qu’une grande partie de la population congolaise évolue dans le secteur informel, comment cette couverture peut-elle être applicable à tous les Congolais, selon quelles conditions?
PN : Comme la plupart des lois en RDC, celle-ci souffre également de la mise en application. Néanmoins, il y a lieu de préciser certaines choses : c’est une loi qui détermine les principes fondamentaux relatifs à la mutualité et pose les bases d’un principe de solidarité. Elle organise et définit les rôles des mutuelles et pose également la première pierre de la création d’une couverture de santé étatique, d’autant plus que l’Etat, à travers le ministre de la Sécurité sociale, est l’organe de tutelle. Et en outre, il va subventionner ces mutuelles au prorata du nombre des membres réels. La loi prévoit, effectivement, une assurance obligatoire pour toute personne offrant la possibilité de rétention à la source. Et une assurance facultative pour le secteur informel. Cela est un réel problème étant donné que la grande partie de la population est sans revenu ou œuvre dans l’informel.
Il est vrai que l’objectif d’une couverture sanitaire universelle ne peut être atteint que par une mesure de contrainte. L’assurance maladie doit être obligatoire pour tous. Et ensuite l’Etat peut graduellement se doter de moyens de couvrir l’ensemble des citoyens. La loi a l’ambition majeure de mutualiser le secteur informel, qui représente la grande partie de la population longtemps négligée, dans le système de protection sociale congolaise. La qualité du fonctionnement de cette assurance mutualiste sera également un élément qui pourra attirer le secteur informel vers cette assurance. Néanmoins, nous restons convaincus que cette législation est inadaptée au contexte socio-économique de la RDC. Elle est fortement inspirée du modèle belge alors que le contexte n’est pas le même. Les mutualités congolaises doivent être des organes de relais communautaires, pour la sensibilisation et la prévention.
LCK : En dehors de la loi précitée, quels sont les textes légaux sur lesquels peut s’appuyer la mise en place effective cette couverture sanitaire et universelle pour tous les Congolais ?
PN : L’article 178 du code de travail, qui oblige les employeurs à fournir les soins médicaux aux travailleurs et aux membres de leur famille durant toute la période contractuelle. L’article 134 de la Loi du 15 janvier 2013 portant Statut du militaire des Forces armées. Et surtout, la loi du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la santé publique. L’article 47 de la Constitution du 18 février 2006, qui dispose que « le droit à la santé et à la sécurité alimentaire est garanti».
Malgré les textes légaux énumérés ci-dessus, il est important de savoir que la mise en œuvre de couverture sanitaire universelle sera aussi légalement accompagnée. Le paquet de soins à couvrir, qui est évolutif, sera déterminé et fixé dans le décret du Premier ministre portant sur la mise en œuvre de la CSU en RDC.
LCK : Dans un pays comme la RDC, où le système de santé est défaillant. Comment mettre en place une CSU ? N’est-ce pas un vœu pieu ?
PN : Non, pas du tout. La couverture sanitaire universelle est le chemin par lequel les autorités seront obligées de réinvestir dans la santé et d’adapter l’espace budgétaire. La réhabilitation de notre système est une nécessité pour le développement du Congolais. D’ailleurs, il est inadmissible de penser, par exemple ,à la réhabilitation d’un hôpital sans réfléchir à comment la population va payer ses soins. D’autres pays africains l’ont fait. Pourquoi pas nous ? La route sera longue et difficile mais il nous faudra de la résilience et des initiatives novatrices et intelligentes.
LCK : Quelles sont les actions prioritaires à mener pour mettre en place cette CSU ?
PN : Nous sommes convaincus que le point départ d’une CSU en RDC sera, d’une part, le vote d’une loi qui obligera tous les Congolais à s’assurer pour les soins de santé. Ce qui va contraindre l’État à payer pour ceux qui n’ont pas les moyens. Et d’autre part, la capacité de mobilisation des ressources financières. C’est pourquoi nous militons en tant que défenseurs du droit à la santé pour que la RDC réalise certains objectifs qui vont précéder l’implantation d’une CSU, notamment la réhabilitation de notre système de santé qui était un des systèmes de référence à la sortie de la colonisation, la réorganisation de l’espace budgétaire, un financement progressif, la priorité aux populations faibles et aux soins primaires, c'est-à-dire une couverture des soins de santé par étape.
LCK : Quels sont les projets de Cramu?
PN : C’est de continuer à collaborer avec les autorités et les scientifiques en RDC, pour la mise œuvre de la CSU. Notre expertise mutualiste dans les services opérationnels et dans l’accompagnement des ayants droit est mise à leur disposition. Lors de la dernière conférence internationale de Kinshasa sur la CSU, nous avons saisi l'occasion pour attirer l’attention des autorités, sur quelques notions essentielles qui vont nous accompagner sur le chemin de mise en œuvre de cette CSU : la valeur sociale que notre pays voudrait transmettre au travers de ce projet : la solidarité sociale. Nous devons garder à l’esprit que les pauvres ne peuvent pas financer la santé des plus pauvres. La contribution doit être basée sur la capacité de payer et non sur les besoins de soins. Nous devrons montrer, via cette CSU, que nous sommes prêts à aller au-delà des discours, en décidant collectivement sur les problèmes essentiels de la CSU, c'est-à-dire l’équité, l’universalisme proportionné et le ciblage. Les mutualités et les différentes organisations de collecte des fonds seront des organes essentiels, leur professionnalisme est donc une nécessité.
Patrick Ndungidi